Le jeu de l’oie du parcours des institutionnels

Dans un précédent article, je présentais toute la difficulté et d’une certaine manière, le manque d’efficacité du marathon de l’aide institutionnelle à l’entreprise.

Je montrais comment, dans mon cas, cela avait abouti sur la décision de ne pas reprendre une entreprise certes en difficulté, mais avec un réel potentiel.

Je veux ici détailler ce que j’ai appelé « le jeu de l’oie » du parcours des institutionnels.

Un parcours beaucoup trop fait de chausses trappes, de règles du jeu à découvrir, de rôles diffus, de paroles qui valent actes, d’actions sans décision, de fonctionnements en silos et sans transversalité.

Je n’exprime pas une vérité mais un vécu que je crois intéressant de partager. Et sur base de ce vécu, je proposerai dans un prochain article des préconisations pour un fonctionnement amélioré.

Début de la partie !

1.   Dette AGS –  remboursez maintenant et tombez dans le puit !

En fin 2012, l’entreprise a conduit un plan de sauvegarde conduisant à des licenciements importants. Comme cela est la norme en ce cas, les AGS (Régime de garantie des salaires) ont pris en charge le coût de ces licenciements. Ceci est positif et logique.

Mais là où cela devient impossible, c’est que, là où les autres dettes de l’entreprise peuvent se négocier en remboursement sur 10 ans, les AGS exigent un remboursement sur 2 ans et ne font pas mine de souplesse !

La situation de trésorerie prévisionnelle ne permet pas un tel prélèvement sur les deux premières années de relance malgré les belles perspectives de l’entreprise.

Autant condamner l’entreprise à la liquidation !

Nota : dans la poursuite du jeu, on pourra peut-être toutefois tomber sur la carte « votre administrateur négocie un allongement du délai de remboursement »

2.   Pénalité administrative – Retombez dans le puit !

Avec de fortes pertes depuis plusieurs années, les Dirigeants mettent toute leur énergie à chercher des solutions de maintien et de sauvetage. Les ouvriers sont au fait de la situation et de l’impossibilité d’augmentation des salaires au-delà du légal. Avec leur accord, la réunion de Négociation Annuelle Obligatoire des salaires (NAO) n’a donc pas lieu les 4 dernières années. L’inspection du travail ne l’entend pas de cette oreille et malgré une situation générale de l’entreprise parfaitement tenue, malgré l’intervention écrite des délégués exprimant leur solidarité à la Direction, l’entreprise se voit redressée, pour ces quatre comptes rendus absents, d’un montant exigé de 150 000 €. L’entreprise, un genou à terre se voit terrassée par le chiffre !

3.   Mandataire judiciaire – Restez dans le Puit !

Contraint par la situation de l’entreprise à envisager une reprise en « plan de cession » (liquidation et annulation de la dette), mais convaincu de la viabilité de l’entreprise, je présente au mandataire judiciaire un projet de reprise à l’euro symbolique afin d’investir tous les fonds disponibles dans le financement du BFR et la relance de l’activité.

Je suis accueilli comme un gangster et un profiteur. Ni bonjour, ni au revoir. Mépris total. Le mandataire n’a même pas lu mon Business plan argumenté – « Si vous croyez que j’ai le temps de lire vos PowerPoint ! ». Devant le juge, il confirme une position extrêmement défavorable : « avec ce que Monsieur propose, je ne me paye même pas ». Logique, mais effectivement ma priorité est de garantir la relance de l’entreprise et non de rajouter 50 ou 100 000 euros au panier avec un risque accru de dépôt de bilan deux ans plus tard.

Une douche froide pour le seul repreneur avec un vrai projet pour l’entreprise !

4.   Dirigeant de fait – Allez en prison (enfin, vous le risquez !)

Toutefois, je n’abandonne pas l’entreprise. Je cherche des solutions et les trouverai.  J’agis sur l’entreprise sous le contrôle des Dirigeants, avec très bonne réceptivité de la part des équipes sur des actions structurantes et sur la mise en place de nouveaux fonctionnements. Mais mon expert-comptable m’alerte très fermement du risque que je prends. Le risque d’être considéré comme « Dirigeant de fait » ! Statut très dangereux car statut non officiel ni protégé. Très dangereux surtout au sein d’une entreprise en difficulté !

Ayant constaté effectivement par les épisodes URSSAF / AGS / Mandataire la rigidité de fait hostile d’institutionnels peu enclins à résoudre ensemble les difficultés, je ne peux prendre ce risque et me retire de toute action dans l’entreprise.

C’est une étape difficile car le personnel a le sentiment que je les abandonne. C’est aussi une étape dommageable car au lieu de pouvoir continuer les actions de progrès sous la houlette des propriétaires, il faut les arrêter. L’entreprise se fige dans un statu quo. « Qui ne progresse régresse » …

5.   Fonds d’investissement – avancez de 3 cases

Les fonds d’investissements ne font pas partie du cœur de mon article, n’étant pas ce que je considère comme « institutionnels » ou « pouvoirs publics ». Mais je ne peux pas ne pas les évoquer. En creux, ils sont tout ce que les institutionnels pourraient être en terme d’approche de l’entreprise.

Une grande compréhension de l’entreprise. Une capacité réelle à critiquer un business modèle, à le faire évoluer, à corriger un plan de financement, à appréhender les réactions possibles des équipes internes à l’entreprise et comprendre les approches managériales envisagées, à valider une stratégie commerciale et la segmentation correspondante.

Ils ont aussi un langage clair et direct – « c’est possible / ce n’est pas possible / quand / quoi …». Des processus clairs. Des décideurs connus et visibles. Pas de recherche de l’apparence ou du seul formalisme, mais recherche de l’efficacité économique, donc humaine et de tout ce qui peut la soutenir.

6.   Dirrecte – Appui sans suite – Passez votre tour

Dans la recherche d’appui, le trajet n’est pas fléché. Chacun se dit pouvoir appuyer, ou n’ose se dire ne pouvant pas ! Rencontres de très grande qualité à la Dirrecte. Interlocuteur remarquable connaissant bien l’entreprise. Remarques pertinentes. Encouragements et félicitations sur un business plan perçu particulièrement clair et probant.

Mais au final, pas d’avancées factuelles. La chaleur des rencontres, mais le sentiment d’avoir perdu du temps. Et le temps est avec l’argent l’ingrédient rare dans la reprise.

7.   Commissaire au Redressement Productif – tombez dans le puit

Travail en commun entre le responsable de la Dirrecte et le Commissaire au Redressement Productif. Rendez-vous pris pour le rencontrer directement. Le jour dit, il n’est pas là. Convoqué d’urgence à Paris. Pas un mot d’excuse ou de relance. Il aurait pourtant encore travaillé la veille « jusqu’à 3 heures du matin sur mon très bon dossier ». La piste s’arrête aussi.

8.   CCI – passez votre tour

Contact bien entendu avec les CCI. Accueil cordial. Mise en contact avec quelques entreprises ou interlocuteurs réseau. Au-delà, très peu d’apport. Une connaissance de l’entreprise qui m’a paru très superficielle et en dessous de ce qu’elle est affirmée.

La CCI ne devrait-elle pas pourtant être le véritable chef d’orchestre capable d’accompagner le repreneur dans sa démarche et dans le lien efficace avec les autres institutionnels ?

9.   Maire de la commune – un vrai engagement – avancez de 3 cases

Là est celui qui a un intérêt direct. Là est celui qui est vraiment engagé. Il ne peut admettre sans agir de laisser fermer une entreprise de sa commune.

Le seul institutionnel à prendre un engagement clair, assez rapide et fort !

Comme en tout finalement, il faut comprendre quel est l’intérêt « personnel » de l’interlocuteur pour savoir quelle sera son action. Et ceci ouvre la porte à des solutions pour améliorer l’ensemble du processus d’appui des institutionnels : clarifier les rôles et responsabilités, les mettre en accord avec les objectifs sur lesquels ils seront jugés et affirmeront leur position.

10.                OPCA – reculez de trois cases

UBU roi !

Les OPCA sont des Organismes Paritaires Collecteurs agréés, c’est-à-dire qu’ils perçoivent les cotisations formation des entreprises et les redistribuent ensuite sous forme d’aide à la formation.

J’avais besoin, pour mon Business Plan, de connaître le montant estimatif d’aides possibles à formation.

Après nombreuses pertes de temps, après découpage du plan de formation en séquences exigées, précisions sur chiffres d’affaire, effectif, ancienneté, droit au DIF, parité etc… refus de fait de l’OPCA même à donner une quelconque estimation car le nom de l’entreprise changera avec la reprise. Revenir les voir … après reprise de l’entreprise !

11.                Réunion des institutionnels – réunion vaut action – passez votre tour

Confronté à l’immobilisme général, j’alerte la sous-préfecture.

La sous-préfète, énergique et profondément intelligente, visite l’entreprise avec moi, se fait présenter mon projet, organise une réunion entre tous les partenaires afin de faire avancer le dossier.

Il faut quand même trois mois (il est vrai avec août entre temps) pour que les différents partenaires puissent se libérer.

Ils viendront 15 interlocuteurs de haut niveau de toute la région – Premiers Vices Présidents Conseils Général et Régional, Directeurs, Directeurs généraux, Dirrecte, Etat.

Mais aucune décision ni aucun engagement ne seront pris. Les questions posées ou réflexions ne portent pas sur la validité du projet mais sur des éléments connexes secondaires dans l’incompréhension forte de la réalité de l’entreprise.

Proposition toutefois d’écrire à la présidence de région et présidence du conseil général – avec appui des présents.

12.                Conseil général – apport perso insuffisant – passez votre tour

Pas de réponse du conseil général dont les échos non officiels sont que d’une part l’entreprise n’est pas sur une zone de développement privilégiée et que d’autre part reproche m’est fait de ne disposer que de trop peu de fonds. La qualité du projet et l’appui des fonds d’investissement ne suffisent pas !

13.                Conseil régional – Retournez à la case départ

Réaction positive de la Région à mon courrier. Nouvelles rencontres. Nouveaux échanges – téléphoniques, épistolaires, physiques. Directeur – Responsables – assistants. Réelle attention positive de la part des interlocuteurs. Beaucoup de temps demandé pour inscrire mon dossier sur le site internet dans les formats standardisés.

Une date de passage en commission et de décision sur mon dossier est prévue qui correspond à la dead line à laquelle, sans décision, je devrais renoncer définitivement au projet.

La veille encore de cette réunion, des signes très positifs.  Appui de mon projet par le responsable d’un fond d’investissement auprès du Vice-présidents de région. Autre Vice-Président appui positivement.

Mais, matin de la réunion (contrairement aux commissions des fonds d’investissement, les réunions de la région sont à huis clos sans possibilité de défendre physiquement son dossier), appel de la Région qui a sous les yeux un document obsolète de plus de 6 mois pour demander des précisions clairement déjà données et présentes dans documents à jour.

L’homme s’excuse car « celui qui s’occupe de mon dossier est absent ce jour » et il ne pourra donc être traité.

Report probable d’un mois confirmé par le Directeur de l’économie – au-delà donc de ma dead line et plus de 9 mois après premiers contacts.

Surtout : une lettre d’ « anthologie » du Directeur général de la région (j’en ai parlé dans mon article précédent). Parfaitement écrite, extrêmement positive dans sa forme, inutilisable dans son fond. M’encourageant chaleureusement dans la reprise envisagée, proposant appui puissant sur 4 domaines majeurs ! …

… et concluant finalement que … dès la reprise faite, l’on regarderait ensemble les montants d’aide possible ! … pour faire cette reprise !

Aucun jeu de l’oie ne permet de se servir pour la partie en cours des points qui pourraient être gagnés dans la partie suivante !

Dialogue de sourds donc, mais aussi langue de bois formidable pour donner l’apparence de l’appui … et rester immobile !

Je me retirais donc du projet de reprise, retrouvant toute ma liberté d’enthousiasme pour d’autres projets, mais révolté du manque de respect et d’attention réel porté à la sauvegarde d’une entreprise viable et de son personnel

Mais pour une prochaine partie, je change de jeu !

Je me proposerai toutefois dans un prochain article des moyens simples d’améliorer l’efficacité de cette chaîne grippée de l’appui aux entreprises.

« Le plaisir peut s’appuyer sur l’illusion, mais le bonheur repose sur la réalité » – de Chamfort